mes librairies | entre autres

Photo @ Marlen Sauvage 2024

Amiens, Librairie Aléatoire

C’était au temps de la vie parisienne et des virées à Amiens | probablement un week-end sans article à rendre sans délai stressant | en mai | direction la baie de Somme et le parc de Marquenterre | on avait marché le long d’un parcours fléché dans une fraîcheur ensoleillée | décidé d’écrire sur nos rencontres d’un jour | portraits de gens croisés dans les bistros sur les marchés | on avait dû pique-niquer d’un sandwich en tentant de reconnaître le chevalier gambette l’avocette la barge rousse | ces oiseaux migrateurs supposés se trouver là à cette saison et nous n’avions certainement reconnu que le héron cendré | parce qu’il rasait les rivières de mon enfance | sur le chemin du retour arrêt à Amiens pour y passer la nuit et promesse du lendemain : la librairie Aléatoire | aucun souvenir de son nom mais c’est celui que je retrouve en effectuant mes recherches | merci Internet | après la cathédrale visitée le matin | photographiée dans ses détails ses rosaces ses sculptures | après les ruelles pavées | la salade dans une brasserie quelconque | on avait pris au plus simple rue Saint-Leu qui nous menait droit à la librairie | je n’ai que le souvenir d’une devanture qui ne payait pas de mine | c’est elle | je retrouve sa photo | on ne peut plus se passer d’Internet alors que la mémoire fout le camp | c’est le souvenir d’un grand bazar où se pressaient toutes sortes de bouquins | un capharnaüm | on plongeait dans la profondeur du bâtiment comme dans des boyaux étroits | c’est cela l’image que je garde de cet endroit | il faisait sombre ou la lumière était chiche ou je n’y voyais pas grand-chose | et nos pas s’étaient désolidarisés | chacun dans sa travée | vers ses centres d’intérêt | avec ses espoirs de trouvailles | on avait beaucoup parlé avec le libraire toi surtout mais tu parlais avec tout le monde | je n’ai plus que la mémoire des Dieux maudits, de Jean Mabire | parce que je croyais que Stef me l’avait emprunté alors qu’un jour j’en ai retrouvé trois exemplaires : le sien et les deux miens dispersés dans la maison d’alors | et puis aussi ce livre à la couverture cartonnée au titre basique comme Couples d’écrivains ou les Couples fameux de la littérature qui m’avait tenté et que je ne me souviens pas d’avoir lu ni même conservé.

Mende, Librairie Chaptal

elle a changé de nom | quand ? | c’est aujourd’hui Les p’tits papiers | la librairie Chaptal | un « monument » dans la ville | maison de la presse et librairie | il faut s’éloigner de la cathédrale Urbain V | se perdre dans la vieille ville | flâner dans la rue Basse la rue de l’Epine la rue de la Jarretière la rue Droite | je donne tout dans le désordre | je ne sais par où je passe mais je m’y retrouve toujours | librairie Chaptal | le souvenir de Mort où est ta victoire, de Daniel-Rops | ce livre sorti de ma mémoire | à la couverture verte et marron | une jeune femme peinte je crois | dans un bac à livres anciens dehors | que j’avais attrapé incrédule et acheté aussitôt | le roman de mes dix-sept ans | probablement sorti de la bibliothèque familiale | retrouvé ici au hasard de mes promenades après les ateliers d’écriture à la prison ou à la fac | relu dans la foulée | reposé sur une étagère de la grande maison aux milliers de livres | l’ai-je emporté ?

Florac-Trois-Rivières, La Berlue

depuis les années 2000, la ville a changé de nom | arrivé place de la mairie | il faut aller en direction de l’ancien tribunal de justice | place du palais | on tombe au coin de la rue sur cette jolie enseigne La Berlue | « un nom vieillot, poétique, féminin… » dont le sens importe peu | une petite librairie foisonnante d’ouvrages triés sur le volet | ici on est rebelle ou on n’est pas | on est exigeant | des auteurs écolos | des auteurs engagés | de petites maisons d’édition mises en valeur sur les rayons | des papiers artisanaux | des carnets des crayons des boîtes | des mètres linéaires de livres pour enfants | des jeux intelligents | et l’accueil de la jeune femme audacieuse qui a choisi ce coin de Lozère en 2012 pour y installer cette librairie indépendante | à chaque virée dans ce coin de Cévennes j’y cours | mes derniers achats parlaient d’ailleurs : Kukum, de Michel Jean, Les âmes sauvages, de Nastassya Martin, Le Divan d’Istanbul, d’Alessandro Barbero.

Florac, Livre et Lyre

une librairie associative à la vie très brève | début des années 2000 | un fonds récupéré par l’initiatrice du lieu qu’elle voulait alternatif | une traductrice de Pessoa | qui trimballa avec force bras bénévoles des milliers de livres d’une adresse à l’autre | car le lieu changea de rue de bâtiment | la dernière en date dans mon souvenir fragile rue du Pêcher | une pièce tout en longueur des tables au milieu quelques chaises ici et là | j’y ai trouvé des Tabucchi forcément et un auteur roumain ? hongrois ? | un roman dont le titre contenait le mot « vin », lu aimé oublié

Arles, Le Méjan, Actes Sud

une vieille connaissance | j’y retourne souvent bien sûr Arles n’est pas si loin | le café devant l’enseigne où boire un verre | les rencontres internationales de la photo | des années durant | les affiches de Michel Bouvet | les collections de « magnets » | poivrons pois rhinocéros citron cygne aubergine | dans le désordre des années | et tant d’autres | et donc la fameuse librairie | les canapés où j’ai pu reposer dos et hanches souvent | une grande partie de ma bibliothèque | tous « mes » Henry Bauchau | Nina Berberova | Julien Gracq | Blanchot je crois viennent d’ici comme bien d’autres titres | mais loin de mes livres je n’en retrouve plus les auteurs ni les titres |

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de l’art de ranger ses livres | dans le désordre

Ceux qui ont échappé à Momox, aux recycleries, à l’oubli dans certains tiroirs et recoins de la grande maison, aux dons divers lors du déménagement des Cévennes jusqu’en Drôme, ceux qui se sont joints aux anciens, doublant le nombre initial depuis la migration, comme s’ils étaient appelés à se reproduire, ceux qui enfin ont leurs propres lieux de vie, éclatés, séparés, dispersés – mais dans un même appartement – et sans secret pour ce qui me concerne. L’espace du dedans ?, L’écoute : attitudes et techniques ?, Un autre Moyen Age ?… dans la grande bibliothèque, un univers de casiers blancs, de mêmes largeur et profondeur, d’inégales hauteurs, et c’est pourquoi aussi Lee Miller, Photographies, Plis d’excellence, Vermeer, L’Autre côté la mer… Une maison de livres qui exige un classement par ordre alphabétique et l’on croit naïvement que tout va bien se passer. Que nenni ! Il y a eu des installations, des interrogations, des dénégations, des remords… Alors désinstallations, réponses temporaires, tentatives durables, accommodements. Ainsi se côtoient les auteurs de langue française – Ameisen, Artaud, Attali, jusqu’à Zalberg, après Yourcenar, Weil, Wiesel, Werth et quelques autres le long de l’alphabet. Romans, nouvelles, essais, puis chacun dans son espace, biographies, peinture, photographie, histoire… Lus, à lire, ouverts, effleurés, caressés, humés, refermés, rangés, repris, relus, annotés, reposés. Et je me demande souvent pourquoi tant de livres, pourquoi cette obsession à posséder ce que je pourrais emprunter – la médiathèque est proche – pourquoi tant de centres d’intérêt quand le temps manque pour approfondir ce que je voudrais. Parce que bien sûr d’autres niches dans le mur pour les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Sud-Américains, et puis les auteurs du Maghreb et d’Afrique noire, et encore les théoriciens de la langue et des ateliers d’écriture ; ceux qui ont été conseillés, offerts, ceux qui répondaient à une envie compulsive, ceux dégotés dans les « fabriques » et autres « triades » d’ici, à cinquante centimes d’euro, gratis dans les bibliothèques de rues, de porches, de pharmacies, et qui attendent leur tour d’être classés, rangés, traînant sur la table basse carrée multicolore. Ailleurs, où l’on aurait voulu un mur entier de livres, du sol au plafond, ceux qui se serrent sur cinq étagères : littérature anglo-saxonne, allemande, “nordique” – une brassée d’auteurs aux noms imprononçables – ceux qui se contentent de deux modiques planches : les auteurs asiatiques, enfin un petit meuble à casiers encore, entièrement dédié à ceux qui me ravissent : les poètes et les auteurs de théâtre. On lève les yeux dans la pièce à vivre et c’est un désordre agencé de ceux qui, de toutes tailles, de tous genres – de la bibliothèque verte à Stanley Milgram en passant par les guides touristiques et Tintin au pays des mots, ces vieux bouquins dont on ne peut se séparer, mais que l’on garde en hauteur, près du plafond, debout, tandis que Rousseau avoue sa Faute, allongé par dizaines près des Anges dont on ne sait même plus lire le Matricule. Ailleurs encore, rigides, au garde-à-vous, ceux à la couverture de carton glacé qui s’épaulent sur un mur de la chambre, dictionnaires de toutes sortes, là où un bureau, avant, justifiait leur présence. Certains sur le départ. Ne le savent encore. Un déchirement à venir. Et je n’oublie pas l’espace « près-du-lit » à même le sol, sous le lit parfois, quelle honte, ceux qui en cours, ceux qui préférés, le Maulpoix à déguster, les Cahiers de Bassoléa, ceux qui s’empilent parce qu’achetés tout récemment et que j’en aime la couverture et la promesse.

MS

Des murs #12

C’est d’abord le côté graphique de ce mur qui m’a attiré l’œil. Les arêtes du toit découpant le ciel. Ces grands aplats d’ocre et de bleu. J’ai tout de suite pensé à Lorenzo Mattotti, figure emblématique pour moi de la BD contemporaine, pour les lignes, les couleurs franches. D’autres murs similaires me sont alors revenus à l’esprit, dont un en particulier devant lequel j’ai passé de longues minutes l’été dernier, à Montréal, un mur jaune plutôt qu’orangé. Haut. Défiant la grisaille du jour. C’était la période du festival des murales, et je me perdais dans la  contemplation d’un mur aveugle au badigeon défraîchi sans pouvoir m’en détacher. Un peu comme pour cette image. En un clin d’œil, je me retrouvai au Québec, mais aussi en Tunisie, en Italie, dans le sud de la France où les ciels lumineux confèrent leur propre intensité aux couleurs les plus usées. Je cherchais dans la texture de celui-ci la trace de crépis anciens, les larmes du temps parmi les arabesques rougeâtres, je voyais une peau dépigmentée dans ses taches décolorées – empreintes peut-être de balles lancées par des gamins désœuvrés – je débusquais des fantômes aux bras levés sous les couches de peinture, des escaliers en colimaçon s’essayant à grimper plus haut que la toiture… Je voyais un mur me racontant une histoire de vie. Et puis, j’ai voulu savoir ce qu’était ce mur, où se dressait-il ? Les murs n’ont pas que des oreilles, ils parlent, et ce que celui-ci m’a raconté n’a rien de poétique… Je vous le dis ? Peut-être celles et ceux qui s’y connaissent en murs et en crépis, en badigeons et autres produits auront déjà compris. Personnellement, je n’avais rien décelé.  Le choc a été rude. Je m’en suis remise, je vous rassure, mais sincèrement, croirez-vous que cette matière orangée veinée de rouge et d’ocre brun n’est rien d’autre qu’une mousse expansée destinée à isoler le mur ? Cette belle couleur pétante sous le soleil ?  Non seulement, c’est de la mousse expansée, mais garnie, si je peux dire, de tessons et autres ordures projetées… peut-être par des gamins désœuvrés, les mêmes que j’imaginais naïvement y jouer à la balle… C’est à Rosas, en Espagne. Qu’à cela ne tienne. Eloignons-nous du mur… Admirons-le. 

Texte : Marlen Sauvage
Photo : Bernard Perlongo

L’invention d’un hasard, par Jérôme Decoux

C’était le thème du dernier Va-et-Vient, celui de mai, et j’ai tellement aimé ce texte de Jérôme Decoux que je vous le propose – avec l’accord de l’auteur – au cas où vous ne seriez pas allé le lire ! L’illustration est celle choisie par JD. Par la même occasion, rendez-vous sur son blog Carnets paresseux, vous ne serez pas déçus !

Source gallica.bnf.fr/Association des Toulousains de Toulouse

L’invention d’un hasard

Je lui ai dit : « parce que notre rencontre, là, c’est pas un hasard ? »

Il n’a rien répondu, juste versé encore un peu de cet alcool brun dans les petits verres posés sur le bois de la table. J’ai continué : « Pas un hasard, la nuit sombre, pas un hasard, la route de campagne, pas un hasard, le raccourci que j’ai cherché pour rien, et bien évidemment, l’auberge abandonnée au coin d’un bois, pas un hasard ? »

Et comme cette tirade bien trop longue m’avait donné soif, j’ai vidé mon verre. Il a monosyllabisé « non » et rempli mon verre. Il y a eu un silence, et j’en ai profité pour regarder la pièce pénombreuse : les murs en rondins ou trône une tête d’élan, la triple rangée de verres et de bouteilles, encore redoublée par le grand miroir derrière le comptoir en pin, les lampes pendant éteintes haut au-dessus les tables carrées. Il a repris la parole : « Vous êtes architecte, donc, la planification, ça doit vous parler. Bref, non, il n’y a pas de hasard. Tout est organisé, depuis le début, là, la genèse. Tout est calé, écrit, le jour la nuit, le ciel, la terre, en passant par les pluies de sauterelles et au bout du bout, les quatre chevaliers, et les trompettes. Ou, si vous préférez, le big-bang, la génétique, les atomes… dans tous les cas on est sur des rails. » Bien ma chance, le mutique se révélait bavard, et du genre théologique ! Mon regard s’est égaré vers le jeu de fléchette au fond de la pièce. Il a dit : « Non, ça, c’est pas un jeu de hasard, c’est de l’adresse. »

J’ai pensé m’énerver, et puis, je me suis dit que tout bien pesé, il valait mieux rentrer dans son jeu. Coincé au milieu de nulle part en pleine nuit, j’avais déjà de la chance de ne pas devoir dormir dans la voiture. Alors j’ai répondu : « Mais quelque part c’est pareil, si tout est décidé.

– ‘Xactement. Et si on va par-là, les jeux dit de hasard eux-mêmes n’en sont pas.

– Vous voulez dire que ça serait l’intervention bienveillante et discrète de la Toute Puissance en faveur de ceux qu’elle a décidé de favoriser ? »

J’ai vidé mon verre et continué, pris au jeu : « Et pourquoi non ? Mettre sa fortune, ou même un sou, au bon gré des cahots d’un dé ou l’ordre d’apparition de quelques cartes coloriées, est-ce que ça n’est une forme de foi ? »

Il m’a resservi et ajouté : « et peut-être plus grande que celle des timides qui se confinent dans une vie craintive… Alors pourquoi n’en serait-on pas remercié et félicité de la sorte ? là, tout de suite ? Sans attendre l’outremonde ou le Jugement dernier ? »

Il y a eu un silence, et il a conclu : « les protestants ne pensent pas tellement différemment : la fortune est la preuve évidente de la grâce. »

Je m’appliquai, mais, la fatigue, peut-être aussi l’alcool, j’avais du mal à suivre. J’ai dit, un peu au hasard : Mais alors, que tout soit arrangé, il y en a un que ça ne doit pas arranger ».

Et j’ai cru bon de préciser, comme pour enfoncer le poing sur le i : « Le diable. »

L’autre a opiné en me resservant : « Oui, lui, à ce jeu, il perd toujours. Ne ramasse que des âmes que son acolyte a déjà décidé de lui abandonner.

– Mais alors, les soient disant contreparties en échange de son âme, c’est bidon ? Faust, et tous les autres, ils ont acheté au prix fort tout ce qu’ils devaient recevoir de toute façon ; cher payé, non ?

– Oui, sauf que leur âme était déjà promise au diable, donc, marché de dupe de part et d’autre. »

J’ai pensé qu’en même temps, c’est peut-être ces âmes perdues d’avance qui sont les plus intéressantes. Et puis je me suis dit : mais si tout est prévu, calé, organisé, d’avance et depuis toujours, même le hasard doit être prévu, non ? je veux dire l’idée de hasard… J’avais dû penser à haute voix, parce qu’il m’a encouragé d’un clin d’œil. Verts, ses yeux. J’ai demandé : « Mais alors qui l’a inventé ? Pas le bon Dieu, puisque dans son plan il n’y a pas de hasard. Et pas le diable, puisqu’il est la marionnette de l’Autre. »

J’ai reposé mon verre dans la petite flaque d’alcool qui vernissait la table. Il a chuchoté avec un sourire : « Sauf si le diable vient en premier : la Genèse, ça commence par le chaos, non ? et le chaos, c’est bien le terrain de jeu du diable ? »

A la vérité, je n’écoutais plus vraiment ; je commençais à me dire que si le hasard n’existait pas, il devait y avoir une raison, un motif, bref, pourquoi j’étais là, assis dans cette auberge, abandonnée, au bout d’un raccourci que je n’avais pas trouvé, après une longue virée sur une route de campagne, à parler théologie avec un inconnu. Il continuait : « Sauf que même le chaos, à la longue – on parle de l’éternité – c’est fastidieux. Alors il invente dieu, pour mettre un peu d’ordre ; et comme c’est le diable, il sabote son propre plan… lui, il dirait qu’il le pimente. En inventant Dieu, il invente un hasard suffisant pour en même temps ordonner le monde et fiche un bazar incommensurable jusqu’à la fin des temps. »

A ce stade, j’étais assez saoul pour accepter n’importe quoi. Et ça tombait bien, puisque à ce moment, il y a eu une grande lumière, et quand mes yeux ont pu reprendre un peu contact avec le monde visible, l’étranger n’était plus là devant moi et moi je n’étais plus dans l’auberge, accoudé au bois un peu collant de la table, mais dans ma voiture, affalé en travers des sièges avant, et, à travers le pare-brise, je les ai vu.

Jérôme Decoux

Des murs #11

Ce devait être juste un mot pour celles et ceux qui me disent attendre impatiemment « le mur » du vendredi. Un mot pour dire que j’allais faire une pause (d’autant que c’est la semaine du Va-et-Vient mensuel, mais je n’y contribue pas cette fois faute de temps et d’énergie). Et voilà que – je ne crois plus au hasard – je retrouve ce soir (jeudi) un livre d’Abe Kobo intitulé Les Murs. Y sont réunis six récits qui pour moi, n’ont rien à voir avec ce thème. Tout au moins n’en ai-je aucun souvenir (lu le livre il y a belle lurette). Aussi, à considérer les différents titres – Le crime de Monsieur Karma, Le Cocon rouge, L’inondation, La craie magique, Les Affaires, Le Tanuki de la tour de Babel – je m’interroge (et je vous interroge par la même occasion) : quel rôle peut bien jouer le mur dans chacune de ces histoires ? Vous pouvez y aller de vos propositions (à condition de ne pas avoir lu le livre !). Monsieur Karma a peut-être commis son crime au pied du mur, je veux dire contraint par les circonstances – encore qu’on peut imaginer retrouver une victime au pied de n’importe quel muret, muraille, cloison ou paroi dans n’importe quelle ville de n’importe quel pays ; le cocon rouge dissimulé dans l’anfractuosité d’un mur a sans doute été subtilisé par celui à qui il n’était évidemment pas destiné (l’histoire se déroule en Chine au onzième siècle…) ; tandis que dans une ville fluviale, le mur édifié sous le règne d’un empereur fameux et abattu sur ordre de zélés édiles aurait contenu l’inondation qui provoqua un drame terrifiant, etc. Et puis la mémoire est étrange… il me revient que la craie magique dans l’histoire d’Abe Kobo est celle qui permet au protagoniste, affamé, de dessiner de la nourriture : pain, pommes, beurre, brioche, lesquels quittent bientôt le mur pour prendre forme et se laisser déguster. Je ne me souviens pas de la suite de l’histoire. Vous l’imaginerez. Et me l’enverrez si le cœur vous en dit. Ce sera mon mur numéro 11, désolée. Bonne journée quand même !

Texte : Marlen Sauvage
Photo : Bernard Perlongo

 

Va-et-Vient n°13, L’invention d’un hasard

Photo : ©Stef Heendrickxen

Cette édition du Va-et-vient de mai a pour thème L’invention d’un hasard, et la consigne demandait d’insérer une phrase de Jack Kerouac : « J’étais assez saoul pour accepter n’importe quoi. » Je n’ai pas participé à ce jeu littéraire qui paraît tous les premiers vendredis du mois, mais j’ai le plaisir de vous renvoyer à la lecture des contributions de celles et ceux qui s’y sont collé ! 

• Amélie Gressier (Plume dans la main) et Isabelle-Marie d’Angèle (Isabelle-Marie d’Angèle)
• Dominique Hasselmann (Métronomiques) et Marie-Christine Grimard (Promenades en Ailleurs)
• Dominique Autrou (La distance au personnage) et Jérôme Decoux (Carnets paresseux)

Note : Le prochain Va-et-vient aura pour thème « L’absence imprévue ». Il sera publié le vendredi 7 juin.

Carnet de quinzaine (15)

Une photo de photo… celle d’Agnès VARDA © succession. Anne et Gérard Philippe, « Entre deux répétitions », 1958

Samedi 20 avril Retour de Paris. C’était l’hiver encore et la pluie. La Pitié… une ville dans la ville… Des allers-retours dans les couloirs à la recherche du bon « box », du papier manquant, alors qu’un rendez-vous est annulé dans l’instant par un nouvel interne. Elle a 87 ans et ne se plaint même plus. Ses yeux pleurent. C’est tout. | Ici aussi l’hiver revenu. Je tombe du train en descendant sur le quai, une chaussure atterrit sur le ballast, je vois une main plonger entre les rails sous le wagon, des bras me portent et m’écartent de la foule qui attend de s’installer, et je me retrouve d’un seul coup seule, égarée avec ma valise, tout près d’un banc où je m’assieds et me rechausse. Miracle de la chute… Je réalise dans le même temps que ma hanche ne me fait plus souffrir ! Mardi 23 R. a fini par s’endormir avec l’appareil à oxygène sur le nez. Mais elle m’entend et me sourit à travers le masque. Alors je reste une heure et demie. Nous inspectons un réticule rangé dans un tiroir, des boîtes à trésors dans une commode, j’admire ses croix en bois d’olivier, les chapelets aux perles en buis foncé, son missel de communiante daté de 1869, offert par sa marraine, à la couverture d’ivoire. Qu’elle souhaite classer tout cela, me raconter l’histoire de ses petites choses de religieuse me touche infiniment et je repars avec une étrange appréhension. Jeudi 25 Avignon. Je pense à Brigitte C. Je la cherche malgré moi dans les rues que je traverse. Le Jardin des Doms chauffe les os et pas un brin de vent pour agiter les grands panneaux en noir et blanc de l’exposition Jean Vilar. Philippe Noiret et Jean-Pierre Darras sur un minuscule vélo dans les années 50… Christiane Minazzoli… Maria Casares. Anne et Gérard Philippe. Quel joli temps que celui-ci. Il y dans ces clichés une insouciance, une joie de vivre, des sourires magnifiques devant l’objectif. Mardi 30 Patatras… il n’est plus question de hanche mais de colonne vertébrale à opérer. Gros coup de blues quand même…

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